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jeudi 2 mai 2024

Sommes-nous tous égaux face au changement climatique ? Rencontre avec Mehdi Mikou

Les événements climatiques extrêmes (vagues de chaleur, vagues de froid, inondations fluviales, submersions marines, tempêtes de vent, feux de forêt), exacerbés par le changement climatique, n’affectent pas uniformément les populations européennes. Dans cette interview, Mehdi Mikou, doctorant au Cired (Centre international de recherche sur l’environnement et le développement), partage son expertise sur les inégalités socio-économiques face aux risques climatiques en Europe, à travers sa thèse « justice climatique : analyse spatiale des inégalités d’exposition et de vulnérabilité aux évènements climatiques extrêmes ».

 

Lire l’article paru dans « Nature Scientific Data »

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ?

« Je suis né et ai grandi au Maroc jusqu’à l’âge de 18 ans, avant de poursuivre mes études en France. Après avoir obtenu une licence en mathématiques appliquées à l’Université Paris-Dauphine, j’ai approfondi mes compétences en data science à CentraleSupélec, avant de me spécialiser davantage en économie de l’environnement, de l’énergie et du transport lors d’un master à AgroParisTech. Avant d’entamer ma thèse, j’ai travaillé sur des questions d’adéquation des politiques environnementales avec les politiques de développement à la Banque Mondiale. »

 

Pouvez-vous nous expliquer le concept de justice climatique ?

« La justice climatique révèle les inégalités liées au changement climatique. Cela inclut les inégalités de contribution au changement climatique, les inégalités induites par les politiques climatiques, les inégalités d’exposition aux conséquences du changement climatique, les inégalités dans l’accès à la décision et les inégalités dans la capacité à agir face au changement climatique.

Dans mon étude, je me concentre sur les disparités d’exposition et de vulnérabilité aux évènements climatiques extrêmes en Europe, en examinant l’impact de ces phénomènes sur les populations selon leurs caractéristiques socioéconomiques (niveau de revenu, âge, genre, etc.) »

 

Pour mener votre recherche, quelles ont été les étapes clés que vous avez suivies ?

  • Collecter des données géolocalisées sur le revenu moyen par habitant auprès des agences de statistiques nationales de 42 pays européens.
  • Harmoniser les différents indicateurs de revenu (revenu net, revenu avant impôt…) en un indicateur de revenu disponible par habitant
  • Utiliser un algorithme de « machine learning » pour créer une base de donnée grillée (carte à une résolution de 1km) de revenu disponible par habitant
  • Produire des cartes à horizon 2100 de revenu disponible suivant plusieurs trajectoires de développement
  • Croiser des cartes d’évènements climatiques extrêmes avec des cartes de données socioéconomiques (revenu, population, âge)[1].

 

Quels sont les premiers résultats de votre étude en termes d’exposition aux événements climatiques ?

« En Espagne, nous constatons que les 20% les plus pauvres, du fait de leur localisation géographique, sont plus impactés par les vagues de chaleur et les submersions marines que le reste de la population. En France, nous observons le phénomène inverse avec une surreprésentation des hauts revenus parmi les populations les plus touchées par les vagues de chaleur. Dans cette étude, nous ne prenons pas en compte les capacités d’adaptation des populations pour faire face à ces aléas climatiques (logements bien isolés, climatisation…). Nous aimerions incorporer ces aspects dans de prochaines études.

Ces inégalités d’exposition que nous mettons en évidence sont en fait liées à des phénomènes socio-historiques qui ont distribué et concentré les populations et les revenus à divers endroits du territoire.* »

 

Comment envisagez-vous que vos résultats puissent être utilisés ?
« Mes résultats peuvent aider à orienter les politiques d’adaptation au changement climatique en identifiant des “hotspots” dans lesquels les populations cumulent à la fois une vulnérabilité socioéconomique et une forte exposition aux événements climatiques extrêmes. »

 

Pouvez-vous nous parler du rôle de la Fondation AgroParisTech dans le financement de votre projet de thèse.

« La Fondation a joué un rôle très important en établissant le lien avec l’un de ses partenaires mécènes, AG2R La mondiale, pour le co-financement de ma thèse, agissant ainsi en tant que connecteur essentiel grâce au mécénat. Je saisis cette occasion pour remercier les partenaires qui me permettent de mener mes activités dans des conditions optimales : l’ADEME et AG2R La Mondiale. »

 

En dehors de votre travail de recherche, vous avez également cofondé un média. Pouvez-vous nous en dire plus ?

« Oui, en effet. Il y a environ un an, j’ai cofondé le média Nechfate (@Nechfate sur les réseaux sociaux) avec quatre de mes amis**. « Nechfate » signifie « ça s’est desséché » en arabe. Notre initiative vise à rendre les problématiques liées au changement climatique plus accessibles à la population marocaine. »

 


 

Les résultats de la thèse de Mehdi Mikou ont été publiés dans la prestigieuse revue Nature Scientific Data. Un deuxième article est en cours d’évaluation par Earth’s Future.

 


 

[1] Les cartes de population par âge et genre ont été développés dans le cadre du projet JUICCE dans lequel s’inscrit sa thèse.

 

*Ces résultats restent très préliminaires et aucune conclusion ne devrait émerger de ce travail

 

**Parmi les cinq fondateurs figure Ali Hatimy, un ami de Mehdi. Ali a été lauréat de la Fondation AgroParisTech au sein de l’association étudiante « Sous l’ombre de l’arbre », un projet explorant les diverses formes de l’agroforesterie à travers le monde. Un bel exemple éloquent du rôle de la Fondation, qui identifie et soutient les talents émergents répondant aux grands défis de demain.