mardi 20 mai 2025
Comprendre le mécénat d’entreprises dans la recherche publique : l’exemple de la chaire Alliance H@rvest
En février 2024, un décret gouvernemental annonce une réduction budgétaire importante dans le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR), à hauteur de 904 millions d’euros¹. Cette annonce suscite une réaction collective de la part de la communauté scientifique, incluant des présidents d’université et de grands organismes, inquiets des perspectives pour le budget 2025. Finalement, les crédits de l’ESR sont maintenus². Cet épisode rappelle la sensibilité du financement de la recherche publique, structurellement tributaire des ressources publiques.
Les chaires partenariales sont un levier pour faire face à cette difficulté. Véritables moteurs de recherche appliquée de pointe, d’enseignement d’excellence et de collaborations stratégiques, elles réunissent des entreprises et institutions publiques et parfois même associatives. Elles sont généralement appuyées par des fondations d’universités ou de grandes écoles³.Dans cet article, nous nous intéressons à la chaire Alliance H@rvest, portée par la Fondation AgroParisTech, afin de mieux comprendre les motivations des entreprises privées à soutenir ce type de dispositif.
Créée en 2022, la chaire Alliance H@rvest a pour objectif de développer des méthodes, des outils et des solutions numériques afin de les diffuser auprès du grand public et de soutenir la transition agroécologique, à l’échelle nationale voire européenne. En ce sens, divers projets sont initiés, qu’il s’agisse de désherbage alternatif, d’adaptation des plantes à des environnements extrêmes ou encore de gestion des sols. Parmi les partenaires privés mécènes de la chaire figure le groupe Exel Industries avec son centre d’innovation et de recherche, EXXACT Robotics. Les motivations des mécènes à soutenir une chaire sont multiples. C’est ce que l’entretien avec le directeur général d’EXXACT Robotics, Vincent Rachet, a permis de mieux comprendre.
Tout d’abord, EXXACT Robotics n’est pas une entreprise au sens classique du terme, car elle se consacre uniquement au développement de technologies de rupture. Elle se distingue également d’un pôle R&D traditionnel, puisqu’elle intègre aussi des services marketing et de production. Au sein de ce dernier, deux équipes distinctes coexistent : l’une est dédiée aux produits pour les grandes cultures, l’autre aux produits viticoles. L’une des principales différences entre ces deux filières réside dans les technologies mobilisées : « on utilise davantage de modèles d’intelligence artificielle (IA) pour les grandes cultures, tandis que la robotique est privilégiée pour la vigne. EXXACT Robotics conçoit ainsi des produits agricoles innovants, en réponse aux besoins des marques du groupe (Nicolas, Tecnoma, Berthoud, etc.) ou à ceux du marché », selon Vincent Rachet. Par exemple, l’entreprise a mis au point un robot assistant les vendangeurs durant la récolte, en les aidant à transporter les seaux remplis de raisins. L’ensemble de ces innovations vise à améliorer la performance des récoltes.
Chez EXXACT Robotics, l’un des défis consiste précisément à créer un pont entre deux univers souvent éloignés. Cela passe par une démarche double : inciter les agriculteurs à s’approprier ces nouveaux outils, mais aussi amener les profils techniques à mieux comprendre les réalités du terrain agricole, ses contraintes, ses rythmes, et surtout, ses limites. Car innover dans ce secteur, c’est aussi accepter de composer avec le vivant.
Selon Vincent Rachet, plusieurs motivations poussent un mécène privé à soutenir une chaire comme l’Alliance H@rvest. A court et moyen terme, l’objectif principal est de mieux faire connaître les problématiques de l’agriculture de précision au sein de l’écosystème agricole. En soutenant la chaire, il s’assure que les technologies développées par EXXACT Robotics soient comprises et acceptées dans le secteur agricole. Par ailleurs, en participant à la formation de milliers d’agriculteurs et d’acteurs du secteur, les mécènes contribuent à l’émergence de profils hybrides, à la fois experts agronomes et spécialistes de la donnée. Ce public professionnel mieux formé favorise la conception de produits innovants plus techniques et de meilleure qualité.
De plus, l’Alliance H@rvest mène une veille active, qui sert à la fois d’outil d’alerte pour le secteur et de support pédagogique pour le grand public. Par exemple, des études sur le développement des bioagresseurs ou sur la production conforme des modèles d’intelligence artificielle ont été menées.
Au-delà de ces axes, le mécénat offre également un avantage fiscal non négligeable : la réduction d’impôts (60% pour l’impôt sur les sociétés). De plus, les mécènes sont associés à la gouvernance de la chaire, leur donnant voix au chapitre dans le choix des projets et renforce ainsi la pertinence et la richesse des travaux menés en intégrant tous les acteurs de la filière.
En somme, l’engagement d’un mécène privé au sein d’une chaire partenariale comme Alliance H@rvest ne se limite pas à un simple soutien financier : il s’inscrit dans une vision à long terme, où se tissent des liens durables entre recherche publique, industrie et acteurs de terrain. À travers cet engagement multiple : démystification des coûts, diffusion des savoirs et formation de talents hybrides, se construit un véritable écosystème de co-innovation, capable de répondre aux enjeux de demain.
En associant étroitement les entreprises à la gouvernance et à la veille scientifique de la chaire, l’Alliance H@rvest garantit non seulement la pertinence et la rigueur des travaux menés, mais aussi l’adoption concrète de solutions développées par, EXXACT Robotics par exemple, sur le terrain.
Plus qu’un simple mécénat, ce partenariat ouvre la voie à une capitalisation continue des connaissances, à l’émergence de profils nouveaux et recherchés alliant expertise agronomique et maîtrise des données, et, in fine, à une agriculture résiliente, performante et résolument tournée vers l’avenir.
Auteure de l’article :
Mélodie Fleury, étudiante AgroParisTech et étudiante ambassadrice de la Fondation AgroParisTech
Articles cités :
2. Le Monde : Projet de budget le soulagement et la frustration des chercheurs.
3. Les chaires partenariales : un investissement stratégique pour l’innovation et la connaissance.